Russie-Afrique : de Kemi Seba à Nathalie Yamb, les « influenceurs » pro-Poutine du continent

Publié le 01 avril
Source : Jeune Afrique

Nombre de figures politiques ou médiatiques africaines profitent de la guerre en Ukraine et de la montée en puissance de Moscou pour relancer le mouvement anti-français et décolonial.

Revue de ces alliés objectifs – et parfois financiers – du Kremlin et de sa propagande anti-impérialiste.

Considéré comme un expert en désinformation, l’oligarque Evgueni Prigojine, membre du premier cercle de Vladimir Poutine et financier de la nébuleuse Wagner, est en première ligne. Il s’appuie sur des associations relais comme l’Afric (Association pour la recherche libre et la coopération internationale), dirigée depuis Maputo par l’universitaire mozambicain formé en psychologie José Matemulane. Présidée par Ioulia Afanasieva, une associée de Prigojine, cette structure est liée au réseau de l’homme d’affaires russe et lui permet de mener ses opérations d’influence en Afrique.

L’Afric entretient des liens étroits avec plusieurs sites panafricanistes, dont Radio Révolution panafricaine et Afrique Média TV, pour faire passer des messages pro-russes ou anti-français. Basée au Cameroun, cette dernière chaîne appartient au groupe de presse Afrique Média, dirigé par Justin B. Tagouh – qui s’est rendu deux fois à Sotchi et affirme avoir rencontré Poutine. Le Camerounais Banda Kani, président du parti Nouveau mouvement populaire, y défend ouvertement de virulentes positions pro-Kremlin dans le conflit ukrainien, qualifiant le régime de Kiev « d’oligarchie criminelle » et son président Volodymyr Zelensky de « voyou ». Afrique Média TV invite également régulièrement le militant franco-béninois Kemi Seba.

Kemi Seba à Moscou

Le fondateur de l’ONG Urgence panafricaniste s’est notamment rapproché ces dernières années du nationaliste russe Aleksandr Douguine, chantre d’un monde multipolaire et d’une idéologie anti-occidentale et anti-libérale, très influent dans l’entourage de Vladimir Poutine. Kemi Seba avait été reçu par le maître du Kremlin en Russie dès 2017 et l’a une nouvelle fois rencontré début mars. Au cours de ce dernier voyage à Moscou, il s’est également entretenu avec Mikhaïl Bogdanov, le vice-ministre des Affaires étrangères, chargé de l’Afrique et du Moyen-Orient, avant de prononcer une conférence à l’Institut d’État des relations internationales.

Sur la chaîne Vox Africa, en octobre 2020, Kemi Seba a expliqué avoir été invité par Evgueni Prigojine en Russie, au Soudan et en Libye. Mais il affirme avoir pris ses distances avec l’oligarque lorsque celui-ci lui a suggéré de passer à des actions violentes contre des symboles occidentaux, quitte à faire des dommages africains collatéraux. L’activiste anticolonialiste continue néanmoins à multiplier les déclarations favorables aux thèses du Kremlin sur les réseaux sociaux.

« Dame de Sotchi »

Proche de Kemi Seba, qui la qualifie de « grande sœur de lutte et de cœur », Nathalie Yamb gravite également dans le réseau Afric. Se définissant elle-même comme la « dame de Sotchi » depuis sa participation remarquée au sommet du même nom, en octobre 2019, cette Suissesse d’origine camerounaise est l’une des détractrices de la France et de ses alliés sur le continent les plus suivies sur les réseaux sociaux. Ses prises de position lui ont d’ailleurs valu d’être expulsée de Côte d’Ivoire en décembre 2019.

Selon un rapport de l’ONG Free Russia Foundation, Nathalie Yamb a notamment participé à l’une des conférences organisées par l’Afric à Berlin, en janvier 2020, co-organisée avec la Fondation pour la protection des valeurs nationales, une structure également liée à Prigojine et dirigée par le « journaliste » (proche des services de renseignement russes) Alexander Malkevitch. Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, elle affiche clairement son soutien à l’armée russe.

Nathalie Yamb est également membre du parti ivoirien Lider, dont le compte Twitter relaie régulièrement la propagande pro-russe, et en particulier depuis le début de la guerre. S’il a officiellement pris sa retraite politique et n’est plus actif sur les réseaux sociaux, le fondateur du Lider, Mamadou Koulibaly, s’est rendu mi-mars à Bamako afin de soutenir la junte, elle-même pro-russe. Dans une interview à Vox Africa, il a expliqué avoir répondu à l’invitation d’un mouvement de jeunes panafricanistes et avoir souhaité « violer l’embargo et soutenir les populations et les jeunes qui se battent pour affirmer leur souveraineté ».

Des experts russes au Mali

Au Mali, Adama Diarra dit « Ben le cerveau » est une figure de proue de la présence de Moscou. Il est le porte-parole du mouvement Yerewolo – Debout sur les remparts, une association malienne pro-russe. En septembre 2021, alors que des rumeurs couraient à Bamako sur la signature d’un contrat entre Wagner et l’État malien, il avait été le premier à confirmer qu’un tel accord était bel et bien en négociation entre Koulouba et le réseau Prigojine.

« Cinquante experts militaires russes sont au Mali depuis plus d’un mois. Ils ont rendu une expertise », avait précisé ce fervent supporter de la junte, membre du Conseil national de transition (CNT). Depuis l’automne 2021, c’est lui qui est à la manœuvre dans l’organisation de presque toutes les manifestations pro-russes au Mali.

Radio-Kremlin à Bangui

La galaxie Prigojine s’étend évidemment jusqu’à Bangui, où l’un des relais médiatiques principaux du Kremlin est Fred Krock, directeur de la très suivie radio Lengo Songo. Celle-ci serait entièrement financée par Lobaye Invest, la société minière reliée à la nébuleuse Wagner dans le pays et initialement dirigée par Evgueni Khodotov, un fidèle de Prigojine. Et ses articles sont régulièrement mis en avant par l’agence de presse russe Ria Fan, étendard de l’écosystème médiatique de l’oligarque proche de Poutine.

Sur les ondes de cette radio, les propos des principales figures de la présence russe à Bangui sont régulièrement rapportés, qu’il s’agisse de l’ancien ambassadeur Vladimir Titorenko, l’ex-conseiller à la présidence Valeri Zakharov, le sociologue Maksim Shugaley ou encore Aleksandr Ivanov, le patron de la Communauté des officiers pour la sécurité internationale (Cosi).

Enfin, cette radio est très utilisée par une partie de la société civile centrafricaine, notamment Blaise Didacien Kossimatchi, membre de la plateforme de la « Galaxie nationale » (très pro-Touadéra), et Harouna Douamba, président de « Aimons notre Afrique », une association financée par Lobaye Invest. Les deux hommes comptent parmi les organisateurs des manifestations pro-russes à Bangui.

Alors que l’ANC est très proche de Moscou, les réseaux sociaux d’Afrique du Sud relayent aussi largement les positions pro-russes. Ainsi, le compte Twitter (qui compte plus de 200 000 abonnés) attribué à Duduzile Zuma-Sambudla, la fille de l’ex-président Jacob Zuma, serait le premier à avoir popularisé dans le pays le #istandwithrussia, partagé plusieurs centaines de milliers de fois depuis. La majorité des contenus y étant associés y dénoncent l’OTAN et l’impérialisme occidental.

Source : jeune afrique