Mali-Guinée-Burkina : Les exclus de la Cedeao s’unissent

Publié le 14 février
Source : La Preuve

L’un des trains communs au Mali, au Burkina Faso et à la Guinée Conakry est d’avoir été tous suspendus des instances de décision de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao).

Chacun de ces pays est dirigé par une transition conduite par des militaires arrivés au pouvoir par un coup d’Etat. Il est clair que ces régimes déchus avaient des insuffisances notoires, ce qui a conduit à la popularité de ces transitions. Mais cette popularité est contrebalancée par une mise à l’écart des nouveaux pouvoirs par les chefs d’Etat et de gouvernement de la Cedeao qui ont pris des mesures dissuasives.

Aujourd’hui, les exclus se voient dans l’obligation de se donner la main pour cheminer ensemble sur plusieurs plans. La rencontre entre les ministres des Affaires étrangères du Mali, du Burkina Faso et de la Guinée Conakry à Ouagadougou le 9 février est très importante. Les trois pays en transition qui ne cessent de s’aider mutuellement sont sur la voie de trouver une alternative à la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Les responsables burkinabés ne cessent de proposer une sorte de fédération entre ces pays qui veulent réaliser le rêve des pères des indépendances africaines.

Ce qui est sûr, c’est que ces pays veulent réussir là où la Cedeao a échoué en travaillant ensemble sur le plan économique. Ces pays ont compris qu’il faut aller vite pour profiter de leur situation d’exclusion de la Cedeao. La Guinée Conakry qui dispose d’un port important voit déjà l’activité économique se développer grâce aux importations des pays comme le Mali et le Burkina Faso. Le Premier ministre guinéen qui sollicite une fédération souhaite éviter l’embargo qui frappe ses importations d’armes dont certaines ont été bloquées dans des ports de pays membres de la Cedeao.

Il s’agit d’une opportunité pour les exportations du Burkina Faso qui est l’un des grands pays producteurs de coton. Selon les estimations, la production de coton n’a baissé que de 3%, à 965 000 balles, la baisse de productivité liée aux insectes étant compensée en partie par la progression de 5% des superficies, à 625 000 hectares. En conséquence, en 2022/23 les exportations de coton du Burkina progresseraient de 7% pour atteindre le million de balles, faisant fondre les stocks qui restent à 18 000 balles à la fin de cette campagne contre 78 000 balles en 2021/22.

Le port de Conakry est aussi utilisé par le Mali pour ses exportations et importations. Ainsi, du 27 au 29 mai 2022, une délégation malienne conduite par le ministre du Développement rural, Modibo Keïta, et le PDG de la Cmdt, Dr Nango Dembélé, s’est rendue à Conakry pour assister aux opérations d’empotage de la fibre de coton et à son embarquement dans le bateau vers des pays acheteurs. Le premier navire transportant 750 tonnes de fibres de coton a pu quitter le port de Conakry vers sa destination finale. Le Mali venait de trouver une alternative à l’embargo des pays de la Cedeao.

On se souvient que la délégation malienne, après la visite des installations de la société Alport-Conakry et aussi les magasins de stockage de balles de coton mis à la disposition de la Cmdt, a pu découvrir la zone d’extension du port qui fait partie du nouveau projet de la société pour augmenter les capacités du Port autonome de Conakry et également mettre les clients à l’aise dans l’optique de faciliter le transit des balles de coton et d’autres marchandises en provenance ou en partance pour le Mali.

Les trois pays marchent ensemble dans un espace économique déjà intégré, et les barrières que la Cedeao n’a pas su enlever entre les populations sont en train d’être démantelées. C’est ainsi que la libre circulation des personnes et de leurs biens est devenue une réalité entre le Mali et la Guinée Conakry en 2022. Par ailleurs, les trois pays représentent une réserve de richesses importantes. La Guinée dispose d’un potentiel minier important, considéré comme un des leviers de l’économie nationale. A ce titre, le secteur minier a été placé au cœur d’un vaste et profond processus de réforme visant à renforcer son impact sur l’économie nationale, et plus généralement sur le développement socioéconomique du pays.

Les trois délégations ont noté la tenue de consultations politiques et diplomatiques au plus niveau « afin de faire de ce partenariat Bamako-Conakry-Ouagadougou un axe gagnant pour le bien-être des populations », a affirmé Olivia Rouamba. Il s’agit du développement du commerce, des transports, de l’approvisionnement en produits de première nécessité, de la formation professionnelle, du développement rural, de l’exploitation minière, de la culture et des arts…

En perspectives, plusieurs points ont été retenus. Il y a la facilitation de la fourniture en hydrocarbures et en énergie électrique entre les trois pays ; le développement du commerce et des transports du port de Conakry jusqu’au Burkina Faso en passant par le Mali ; et l’organisation de l’exploitation minière entre les trois pays. Puisqu’il s’agit de développement, les trois délégations comptent mobiliser des ressources nécessaires en vue de réaliser le projet de construction du chemin de fer Conakry-Bamako-Ouagadougou et la construction des routes intermédiaires entre les trois pays « devant servir de leviers de croissance économique et faciliter la libre circulation des populations et de leurs biens ».

Pour y parvenir, Abdoulaye Diop pense qu’il faut tout simplement de la volonté. « Encore une fois, nous pensons que les difficultés auxquelles nos pays sont confrontés ne sont pas liées à des questions d’absence de moyens financiers. Il s’agit essentiellement de questions liées à l’absence de volonté, à l’absence d’engagement et au fait que nous ne cherchons pas de solutions dans nos pays », a-t-il insisté.

En ce qui concerne la lutte contre l’insécurité dans la bande sahélo-saharienne, les trois délégations ont relevé la nécessité de conjuguer leurs efforts et ceux des pays de la sous-région et de la région pour faire face au fléau. « Elles appellent à une mise en cohérence des actions au niveau régional sur la base des efforts bilatéraux déjà mis en œuvre », a laissé entendre Olivia Rouamba du Burkina Faso.

La Guinée n’est pas confrontée au phénomène du terrorisme, mais Dr Morissanda Kouyaté, son ministre des Affaires étrangères, a indiqué qu’il faut être proactif et ne pas attendre que le mal frappe d’abord le pays. Et l’autre conviction, c’est celle du panafricanisme. « Comme le dit le colonel Mamady Doumbouya, le président de la transition, quand un pays africain est attaqué, la Guinée se sent directement attaquée », a-t-il déclaré. Les trois Etats ont déploré « les sanctions imposées de façon mécanique, et qui ne tiennent pas souvent compte des causes profondes et complexes des changements politiques ». Ils ont indiqué que ces décisions de suspension empêchent la participation de leurs pays aux instances statutaires de la Cedeao et à l’Union africaine, et particulièrement celles traitant des défis majeurs auxquels ils sont les plus concernés, tels l’insécurité, les questions humanitaires et de développement économique durable ».

Le Burkina Faso, la Guinée et le Mali ont, au cours de ce mini-sommet, réaffirmé leur attachement aux objectifs et principes de la Cedeao. « Nos trois pays en transition demandent à ce qu’on étudie profondément les causes des changements et, à partir de là, qualifie les instances et les éléments de décisions au niveau de l’Union africaine et de la Cedeao. Nous n’inventons pas la roue. Nous ne sommes pas contre l’Union africaine, nous ne sommes pas contre la Cedeao. Nous voulons plutôt donner l’exemple à travers ces trois pays que nous pouvons faire mieux, qu’on peut faire plus pour les populations africaines », a déclaré Dr Morissanda Kouyaté. Au terme de cette rencontre tripartite, les délégations se sont engagées à renforcer le partenariat entre leurs pays et à encourager la recherche de solutions endogènes aux défis auxquels ces pays sont confrontés.

Oumar KONATE

Source: La Preuve