Emigration : Ces femmes qui souffrent en silence

Publié le 20 octobre
Source : l'Essor

Partis à la recherche d’une vie meilleure dans d’autres pays lointains, certains hommes laissent derrière eux leurs épouses dans une attente interminable. Du coup, certaines sont tentées à faire l’adultère.

Le Mali est un pays d’émigration. Sur une population de 22 millions d’habitants, plus de 4 millions sont établis à l’extérieur. Beaucoup laissent derrière eux, femmes, enfants et parents pour aller chercher fortune.  En fait, la plupart des gens partent pour assurer la survie des siens. Cette réalité tant difficile à vivre pour les épouses est donc, un moyen de lutte contre la pauvreté. Selon les estimations de la BCEAO, les expatriés apportent 538 milliards de Fcfa par an, soit une contribution de 11% au  Produit intérieur brut (PIB).

Il faut noter que dans certaines contrées, le phénomène de l’émigration a créé une situation grave pour les femmes. Dans ces communautés, tout le monde le sait, mais personne n’en parle. Un véritable drame pour ces femmes qui souffrent en silence. Le cas d’Aman, une femme de 45 ans, qui vit au village illustre parfaitement le phénomène.

Mariée à son cousin qui vit en France, elle est mère de trois enfants. De temps à autre, elle vient se faire soigner à Bamako. Femme de foi et à cheval sur les traditions, elle se sent persécutée dans sa solitude. La nuit était noire et calme, lorsqu’elle  entend un toc-toc discret et léger qui lui perturbe le sommeil. «Rentre chez toi, tu sais que je ne veux pas, je n’ai jamais voulu de toi». En voila une réponse claire, qui ferait reculer n’importe quelle personne.  «Arrête ma douce, lui lance-t-il, tu n’images pas le plaisir que j’éprouve à et dans mes bras», réplique le grand frère de son mari.

Ces femmes, qui souffrent en silence, élèvent seules leurs enfants en espérant le retour de leurs époux. Elles sont sujettes à toutes les tentations et conflits.  Les plus chanceuses voient  leurs conjoints une ou deux fois dans l’année. D’autres devraient patienter des années.  En 27 ans de mariage, Amanne voyait son époux que pendant ses congés annuels.

À chacun de ses accouchements, elle subit une césarienne. «Mon mari n’a jamais voulu que je le rejoigne en France. Il m’a toujours maintenue ici pour ses vacances, sans tenir compte de la souffrance que j’endure, parce qu’il est marié là-bas. Pendant ce temps,  elle a refusé plusieurs fois les avances des hommes de la famille. Surtout celles du grand frère de son mari, devenu hystérique dans son obstination. « Ma douce, ouvre moi juste une fois, une seule fois, je sais que tu me désires, je te promets que tu ne vas pas le regretter».

«Si tu ne pars pas,  je crie et tout le monde saura ce que tu  veux faire avec la femme de ton frère. Tu n’as pas honte ?  Aie un peu d’égard pour sa mémoire même si tu ne l’as jamais considéré de son vivant», lui lance-t-elle. Pour notre interlocutrice profondément attachée à la foi, il  n’est pas question d’aller avec un autre que son mari, malgré ses  besoins biologiques. Elle a perdu son mari depuis 3 ans, et attend de se remarier sans transgresser ses convictions.

Elle est d’une ethnie où le mariage entre parents est  fortement ancré dans les mœurs. Mais,  elle n’envisage plus un mariage à distance.

Deux autres femmes vivent le même calvaire. Il s’agit de Keïta Habibatou Traoré  et Doucouré Fanta Sylla qui ont aussi contracté un mariage à distance et lutte quotidiennement pour s’en sortir.

Habibatou, 37 ans, est à sa 14e année de mariage. Elle a dû  attendre 7  ans pour pouvoir consommer le mariage avec son époux qui vit à l’extérieur. Elle est tombée enceinte pour la première fois 10 ans après le mariage. Malheureusement, le bébé est mort-né. Elle  souffre de problèmes gynécologiques. À cela, il faut ajouter les querelles familiales. Notre interlocutrice veut se libérer de ce mariage, mais sa famille la décourage, car après tout c’est un mariage de famille.

Il convient aussi  de souligner  que chez  certaines ethnies, il existe une convention sociale et une tradition. Leur idiosyncrasie, c’est de permettre à d’autres hommes d’entretenir des relations intimes avec une femme dont le mari est expatrié. L’homme peut être le frère aîné ou cadet, un cousin ou même le père du mari. La pratique est connue de tout le monde, mais personne n’en parle, explique le sociologue, Mbaye Diakité. Par ailleurs, ce dernier  attire l’attention sur le fait qu’au cas où un enfant nait de ces relations, le mari est obligé de l’accepter comme son propre enfant, car dit-il,  c’est un enfant né dans le mariage.

MOYEN DE LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ-Le phénomène a commencé  vers les 1970 années, avec la grande sècheresse qui s’est abattue sur notre pays. Les hommes de certaines régions s’aventuraient vers d’autres pays à la recherche de quoi nourrir leurs familles. Dès lors, c’est devenu une tradition. Les  hommes s’en vont pour assurer la survie des familles, laissant derrière eux leurs épouses. Cela a perduré et pris la forme de l’émigration. C’est donc, un moyen de lutte contre la pauvreté qui a amené ce fléau. Plus le temps passe, plus la femme est exposée, ajoute-t-il.

Les hommes de la famille ou même de l’entourage profitent de leur vulnérabilité pour les mettre dans leur lit. Ce qui se passe est gardé comme un secret de famille. Tout le monde sait, mais personne n’en dit mot. Entre autres, la pratique est plus tolérée pour les hommes de la famille que pour  les  étrangers. Pourtant, certaines femmes préfèrent  les étrangers, car elles pensent que leur secret sera mieux gardé.

Il y’a  même des villages où  les femmes créent les conditions pour les travailleurs saisonniers, qui viennent faire de  petits travaux au village. On les appelle «Soulouka». Elles les séduisent à des fins adultères. Si un homme tombe dans le piège d’une d’entre elles, elle informe aussitôt les autres afin de tenter leur chance avec lui. Au cas où il résiste à l’une d’entre elles, directement cette dernière le fait chanter, ou l’accuse de tentative de viol.

Ce drame a de lourdes conséquences, à commencer par  l’ingratitude envers ceux  qui se battent pour le bien être de la famille. Il y a aussi les problèmes entre le vrai mari et sa femme car personne ne veut partager sa femme malgré la distance, et l’enfant issu de cette pratique ne pourra pas être aimé comme les autres dans la mesure où il rappellera  toujours à l’homme la trahison de sa femme. Par conséquent, cela aura un impact négatif sur  l’enfant.

Selon la sunna, la femme peut patienter  six mois en l’absence de son mari. Passé ce délai, elle peut demander et obtenir le divorce.

Maïmouna SOW

Rédaction

Source : L’essor